Suzanne Giraud

Contact Suzanne Giraud compositrice contemporaine française

Compositrice Composer Komponistin

Éclosion

1999, Éclosion, musique de chambre, solo

Durée : 8′

Effectif : 1 guitare

Dédicataire : Vladimir Mikulka

Création : 1er avril 2000, Festival International de Fribourg, Vladimir Mikulka

Edition Musicale Jobert (Edition Musicale Henri Lemoine)

Notice de Éclosion

À Fribourg, beaucoup de Manuel Ponce et de Joaquin Turina. De la musique connue qui ronronne gentiment, admirablement écrite, d’un extrême raffinement que l’on aimerait goûter en petit cercle autour du soliste, sur une terrasse à Séville ou Grenade par une douce nuit d’été avec un cafecito solo bien tassé ou un thé à la menthe. Nostalgie d’autant plus sensible que de la guitare de Vladimir Mikulka émanait ce parfum sonore et suranné typique de l’idée que nous pouvons nous faire de l’Espagne esthète et aristocratique du début du siècle. Les tempi modérés nous laissaient le loisir et le plaisir de nous promener le long des chemins ibériques où se mêlent les voix populaires du romancero, les senteurs et les couleurs propres à la culture savante des grands et vrais seigneurs. Avec Castelnuovo Tedesco, la musique s’est faite moins traditionnelle, laissant pressentir que nous allions bientôt sortir hors des sentiers battus.

Le choc est effectivement venu des deux contemporains élus par Mikulka. Nikita Koshkin (né en 56) d’abord, auteur impressionnant d’une valse (Usher Valse) inspirée d’E. Poe. Il est extraordinaire d’entendre ici combien de cette danse s’exhale, comme d’une orchidée carnivore, un charme ambigu venant d’une part de l’enivrant et aristocratique tourbillon viennois, d’autre part d’un rythme vénéneux et fantasmagorique déjà diversement exploité par Ravel, Sibelius, Berlioz, Saint-Saëns, Schoenberg… Mais ici, par son atmosphère, c’est au Caplet du Conte Fantastique que j’ai le plus songé (L’ombre d’E. Poe ?).

Le sommet fut, sans conteste, Éclosion et le public concentré et attentif ne s’y est pas trompé. Bien qu’au frais, nous avons chaleureusement applaudi : et l’œuvre de Suzanne et la performance de Mikulka. Ce n’est pas tous les jours qu’un(e) non guitariste compose pour cet instrument. Chaque partition de cette envergure doit être considérée comme une aubaine, un don authentique du Ciel pour faire avancer la technique qui autrement s’enroulerait de façon narcissique sur elle-même. Il fallut que Mikulka travaillât longtemps cette œuvre rebelle, inventât de nouveaux doigtés afin de ne rien changer à la partition et nous montrer qu’en définitive cette écriture était bien faite pour guitare ! En substance, Suzanne nous explique : « Éclosion utilise ainsi qu’il était couramment pratiqué autrefois pour le luth, la scordatura : deux cordes de la guitare sont détendues pour obtenir un son à vide inhabituel ainsi qu’une palette harmonique naturelle correspondant aux accords principaux qui jalonnent l’œuvre. De fait, celle-ci est très chargée en accords plaqués, arpégés, égrenés dans tous les sens ». Une fois de plus, les propos peuvent effrayer un réfractaire à la musique de notre temps ; une fois de plus, la qualité de la composition s’impose aux oreilles les plus rétives pourvu qu’il leur reste un soupçon d’esprit d’ouverture.

Aucun mal de mer. Nous sommes plutôt emmenés hors du temps dans un espace en expansion continue. Ces accords sont des pousses aussi variées que les fleurs d’un gazon japonais. Elles exercent juste la force nécessaire pour fendre la croûte fertile qui les recouvre et aller éclore en pleine lumière. C’est un hymne à la vie. C’est un Sacre du Printemps bonsaï où la violence primaire et éruptive, titanesque de la nature qui soudain s’éveille cède au déploiement aléatoire de la nature d’un jardin tranquille. Perce-neiges, crocus et hâtives éclosent là tout simplement sous nos yeux émerveillés. Suzanne a voulu un épisode central « contrasté presque tonal qui rappelle une danse ancienne… une danse lente aux couleurs lointainement modales très difficile à maintenir dans un rythme pointé sous les larges accords qui reviennent en sourdine ». Plutôt qu’une danse, j’y ai entendu un nocturne qui a suscité en moi de profondes résonnances. On chemine lentement dans le grave. Impressionnant ! (Là encore !) Après ce premier jaillissement vital, il nous faut retourner au centre de nous-mêmes, explorer peut-être des zones inconnues pour y puiser les forces nécessaires au nouvel élan de la partie suivante. J’avoue que là, j’ai traîné quelques secondes en chemin Je serais bien resté plus longtemps dans ces profondeurs. On risque l’embolie à remonter si vite à la surface ! Surtout qu’ensuite l’ascension continue ! Quelle densité musicale ! Durée d’exécution : 8 minutes parait-il. J’ai cru être resté enfermé dans une minute ! Il faut absolument réécouter cela, mais quand sera-ce possible ?

Éclosion est le genre de petit chef d’œuvre dont on n’est pas près d’épuiser toutes les richesses, car c’est à un véritable périple intérieur, à une recherche des ressources illimitées gisant en chacun de nous que nous invite cette musique. La musique, art décoratif, inutile et superflu ? Il y en a qui le disent. Allons donc !

Vincent Urbain

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